Point de vue d’une psychologue en cancérologie.
Pendant près de 20 ans, Valérie Sugg a travaillé dans un service de cancérologie hospitalier en accompagnement des personnes malades, de leurs proches souvent vers la rémission mais parfois, aussi, dans un accompagnement en fin de vie. Elle nous parle de la complexité de l’histoire familiale de Vincent Lambert, de son état végétatif et du combat médiatisé mais aussi des autres, de beaucoup d’autres, souvent atteints de maladies incurables en phase palliative, qui ne parviennent pas à être entendus dans leur choix de fin de vie. Un sondage Ifop publié le 3 janvier 2019 confirme que 89% des français sont favorables à une nouvelle loi légalisant le suicide assisté et/ou l’euthanasie. Que vient illustrer la situation de Vincent Lambert de la particularité française au sein d’une Europe beaucoup plus active sur ce sujet ?
Est-il si difficile de parler de tout et donc de la fin de vie et de la mort en France ? Est-ce un un sujet tabou que vient réveiller l’affaire Lambert ?
Dans la société actuelle, les tabous demeurent assez nombreux notamment concernant la fin de vie et la mort, parfois même déniés au profit d’une réalité modifiée, d’un rêve d’éternité. Oser aborder la fin de vie n’est pas dans nos habitudes et va à l’encontre de certaines croyances dans une société qui court de plus en plus derrière le fantasme d’une éternelle jeunesse.
Concernant Vincent Lambert, c’est une bien triste histoire familiale qui a débuté il y a 11 ans avec un accident qui l’a plongé dans un état végétatif. Ensuite et on le retrouve souvent dans ces situations où des directives anticipées n’ont pas été rédigées, la famille se déchire. Chacun pense savoir ce qui est mieux pour la personne et des enjeux de rivalités d’amour, de jalousies, d’appartenances, de croyances peuvent mener à ce type de situation. En effet, après avis médical une partie de la famille dont la femme de Vincent Lambert s’est préparée à l’arrêt des traitements alors que de l’autre côté, ses parents ont lutté pour le maintenir en vie, jusqu’à ce jour, parvenant une nouvelle fois à obtenir la fin de la sédation débutée. Il n’est pas question ni intéressant de prendre parti mais plutôt de comprendre que la loi Claeys-Leonetti de 2016 ne répond pas à ce type de situation mais à d’autres, nombreuses. La situation de Vince nt Lambe rt n’est que la partie émergée de l’iceberg et concerne les personnes dans un état végétatif ne leur permettant pas d’exprimer leur souhait. En revanche, pour de nombreuses personnes en fin de vies, c’est en conscience qu’elles demandent à être entendues elles aussi pour qu’enfin, le tabou sur la fin de vie laisse place à l’information, la communication et que des décisions soient prises et mises en œuvre au plus vite.
Quelles sont les limites actuelles de la loi Claeys-Leonetti ?
On le voit bien dans le cas de Vincent Lambert, il peut y avoir un acharnement de proches, mais aussi parfois de certaines équipes soignantes, de certains médecins selon les convictions religieuses, philosophiques et autres de chacun. Il y a là des croyances que chacun met en avant et qui sont toutes respectables d’un point de vue personnel puisque chacun ne peut émettre un tel choix que pour lui-même.
Accompagner une personne en fin de vie c’est tout faire pour que ce qui lui reste à vivre se passe dans les meilleures conditions pour elle tout en respectant ses choix, convictions, directives. Des équipes pluridisciplinaires sont là, pour l’accompagner, associant professionnels, bénévoles et représentant du culte parfois selon les désirs et selon aussi l’endroit où la personne est suivie, car tous les centres de traitements n’ont pas les mêmes services à proposer, il y a encore beaucoup trop d’inégalités, il manque de services de soins palliatifs partout ! Et puis, les seules possibilités pour répondre aux demandes de certains patients de mettre un terme à leur souffrance (et ils sont de plus ne plus nombreux à oser le dire) c’est la sédation profonde. Vincent Lambert a déjà été mis précédemment sous sédation profonde avec arrêt des traitements mais les parents sont intervenus avec de nouvelles procédures qui y o nt mis u n terme et c’est de nouveau ce qui a été obtenu par décision de la Cour d’Appel. La sédation profonde n’est pas la mort, elle a pour but de soulager au mieux la personne en fin de vie sans entraîner la mort immédiate et cela peut durer des jours voire des semaines. Il y a là sans doute une certaine hypocrisie voire une certaine lâcheté à ne pas vouloir entendre leurs demandes pourtant très claires. C’est sûrement sur ce sujet qu’il faut légiférer enfin et dans un cadre défini, pour permettre à ceux qui le souhaitent que la mort soit immédiate donc une euthanasie active.
Il n’est pas admissible que le déroulement des dernières semaines de vie d’une personne dépende du bon vouloir de l’équipe soignante qui l’accompagne ou de l’acharnement de proches trop en souffrance pour accepter le choix des malades. Il est plus que temps que chacun puisse être entendu dans la façon dont il souhaite être accompagné et de pouvoir répondre à sa demande s’il souhaite que l’on abrège son agonie. Pour parler clairement de pouvoir obtenir, dans un cadre réglementé, le droit d’accéder à une aide à mourir.
Que faut-il décider concrètement d’après vous ?
L’espoir d’une législation sur l’euthanasie et du suicide assisté en arrêtant cette hypocrisie générale qui fait vivre des situations de grande souffrance aux personnes malades, à leurs proches mais aussi aux équipes soignantes qui auraient tant besoin d’être soutenues, aussi.
Dans la réalité du quotidien des services, le refus d’acharnement de la loi Claeys-Léonetti ne prend pas toujours vraiment sens parce que la notion est trop vague. Donner de l’oxygène à une personne en stade terminal ou poser une sonde gastrique, est-ce de l’acharnement ? Hydrater une personne qui ne peut plus boire, est-ce de l’acharnement ou simplement lui donner à boire autrement ? Une sédation terminale telle qu’elle a été décidée suffit-elle à répondre aux attentes de certains, ou bien est-ce continuer de laisser une personne sans traitement, mourir à petit feu pendant plusieurs semaines, sans mettre un terme à certains calvaires ?
Il est urgent d’informer les français et de les encourager à écrire leurs directives anticipées (seuls 11% des français l’ont fait à ce jour) et de les inclure sur les informations contenues sur la Carte Vitale et/ou sur le DMP (Dossier médical Partagé). Il y a urgence à voter une nouvelle loi qui légalise le choix de certains à l’euthanasie active, le suicide assisté c’est-à-dire de pouvoir, dans un cadre strict, en phase palliative d’une maladie choisir non pas la sédation profonde mais bien l’arrêt immédiat de leur vie. Cela laisserait à chacun le choix, celui d’endurer de terribles douleurs physiques et psychiques pour ceux qui le souhaitent mais aussi d’y mettre un terme pour ceux qui ne le souhaitent pas. Cela éviterait des situations comme celle de Vincent Lambert mais de bien d’autres dont on ne parle pas assez. De nombreux pays européens y sont parvenus, je ne vois pas pourquoi la France n’en serait pas capable.
Les avis sont partagés, personne n’a tort, mais le mieux serait peut-être de respecter le choix de chacun, dans la tolérance de la différence, de ce que l’autre souhaite pour lui, sans jugement aucun, sans y adjoindre forcément du religieux. Décider de demander que l’on mette un terme à sa vie n’est pas une décision facile, bien au contraire. Cependant le chemin semble encore semé d’embuches, d’énormes rochers, de barrières psychologiques, philosophiques, religieuses et j’en passe. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de vivre et/ou de mourir. Chacun fait ce qu’il peut face à sa propre finitude, personne n’est à juger. On ne peut décider à la place de l’autre ce qui est bon pour lui.
Valérie Sugg
Psycho-oncologue, auteure de « Cancer : sans tabou ni trompette » et « L’hôpital : sans tabou ni trompette » et de « Cancer : l’accompagnement »aux éditions Kawa. Membre du comité d’honneur de l’association « Le choix : citoyens pour une mort choisie ».