Une psychologue au chevet des soignants par Valérie Sugg

Notre système de soins a pris un chemin de traverse depuis trente ans. Les dirigeants se sont gargarisés de cette médecine française réputée mondialement, de ses médecins innovants, mais voilà, les soignants ce ne sont pas que les médecins mais des équipes composées de différents corps de métiers qui tentent de faire entendre l’impasse dans laquelle nous entrons, dangereusement.

Un système de soins vieillissant et au management d’un autre temps.

Il était nécessaire, bien entendu, de mettre en place une stratégie pour juguler l’hémorragie financière hospitalière qui n’a pas su prendre le problème à sa base, qui a voulu soigner les causes mais pas la maladie. Car c’est le système de soins lui-même qui est malade. Trop d’administratifs, de chefs, de sous-chefs et pas assez de soignants, plus assez, bon nombre ont été remerciés ou dégoutés. Des investissements financiers mal gérés, un matériel de plus en plus vétuste. Mais aussi un management par la dévalorisation, la culpabilisation, la déshumanisation progressive des soins.

Les soignants refusent de devenir des techniciens du soin centrés sur à la rentabilité et ils en souffrent.

Il s’agit, peut-être, d’un problème de mentalité et il ne concerne pas que le domaine de la santé. Le management hospitalier a choisi de « gérer » le personnel soignant essentiellement par la pression, la culpabilisation, le chantage au patient (« restez encore, le pauvre patient sinon il n’aura pas… » sa soupe, son traitement etc.), la dévalorisation, la répression au travers, par exemple, de la notation annuelle qui devrait servir pour établir un projet commun, stimuler, encourager, valoriser mais qui, le plus souvent, ne fait que permettre ou bloquer l’évolution du salaire. Cette politique de rentabilisation, qui n’a pas voulu tenir compte des particularités du milieu des soins, fait souffrir ceux qui y travaillent face aux personnes malades ou résidents.

Les soignants sont maltraités et, du coup, deviennent parfois maltraitants.

Cela parât exagéré mais ce n’est pas le cas, ce sont eux les soignants qui l’expriment le mieux. C’est une forme de maltraitance qu’il subit quand, un chirurgien, est interpellé au bloc opératoire parce qu’il ne va pas assez vite et que le patient suivant est déjà endormi et qu’on lui demande d’accélérer, en pleine opération. C’est une forme de maltraitance quand on demande en Ehpad à une aide-soignante de faire la toilette de douze à quinze personnes le matin ou d’être seule aide-soignante présente la nuit pour cinquante résidents. C’est une forme de maltraitance que d’exiger d’une infirmière qu’elle reste une heure de plus parce que la chimio de madame D. n’est pas terminée et que l’infirmière de soir est déjà débordée. C’est aussi une forme de maltraitance que de remplir les rendez-vous de consultation rendant impossible le fait de prendre les personnes à l’heure ou alors en faisant des consultations « Express » qui n e prenne nt plus le temps d’écouter les particularités de chacun. Par conséquent, les soignants deviennent maltraitants puisque leur temps auprès du malade, du résident, est quasi chronométré. La recommandation d’une toilette en 6,66 minutes début 2017 est à l’image de ce qui se passe tant en milieu hospitalier, en Ehpad, en maison de retraite et nous sommes tous concernés. Parce que dans ce lit, à espérer une douche que les soignants n’ont parfois le temps de faire qu’une fois par mois; ce repas servi froid car il n’y a qu’une aide-soignante pour cinquante résidents ; ce pipi pour lequel elle est appelée mais qui n’attendra pas son arrivée, toutes ces « petites » choses rendent le quotidien des soignés douloureux. Et ça pourrait être moi, vous, votre père, votre mère, un proche.

Les responsables des structures de soins sont parfois incompétents.

Il faut bien oser le dire, certains le sont parce qu’ils dirigent des centres de soins sans jamais avoir mis un pied dans un service ni y avoir travaillé. Ils subissent aussi, sans aucun doute, la pression des économies à faire après tant d’années de gaspillage à tous les étages. A titre d’exemple, quand une infirmière, m’explique que l’hôpital a changé de fournisseur de compresses pour un moins cher mais que du coup il en faut trois à la place d’une pour le même résultat, elle est où l’économie ? Pourquoi certains décideurs qui ne savent pas de quoi ils parlent continuent-ils à mettre à mal la bonne volonté des soignants ? Ou quand un aide-soignant, me raconte qu’il a du changer son résident qui s’était souillé à mains nues car il n’y avait plus de gants en stock, que dire ? Quand Sophie, infirmière en soins palliatifs, pleure dans mon bureau parce que monsieur T. tellement amaigri ces derniers jours, n’a pas pu bé néficier d’une couverture en plus parce qu’il n’y en avait plus, que Mademoiselle C. n’a pu avoir un oreiller parce qu’il n’y en a pas alors qu’elle est si douloureuse et a besoin de se caler avec. Qui est responsable ? Le directeur de l’établissement qui lui n’est pas confronté à ce que cela fait vivre aux équipes et aux soignés de si douloureux, de ce manque d’humanité qui en dit long sur la façon dont chacun est considéré ou pas.

Des soignants qui se mettent en grève, se révoltent parfois se suicident.

Ce mode de gestion des soins engendre chez les soignants de la gêne, du dégoût, de la honte et, trop souvent aussi, de la culpabilité. Aucun soignant ne peut être fier d’une patiente dans la cinquantaine, épuisée par sa chimio et hospitalisée depuis une semaine qui ne peut pas bénéficier d’une douche. Aucun soignant ne peut se satisfaire que seuls douze résidents d’une Ehpad sur quatre-vingt puissent être sortis l’après-midi dans la cour ou accompagnés en salle d’animation. Aucun soignant ne peut être insensible à un jeune patient, vingt-cinq ans qui tremble de froid à l’accueil des urgences sur le brancard en plein courant d’air car la porte est cassée depuis trois mois et n’a pas été réparée. Aucun soignant ne peut se réjouir de cette autre patiente encore qui supplie qu’on la soulage, en fin de vie et que l’interne seul cette nuit, ne sait quoi faire parce qu’il remplace un médecin manquant plus qu’il n’est accompagné dans sa f ormation . De ce fait, ils sont malheureux, les soignants, parce que s’ils ont choisi de devenir soignants c’est justement parce qu’ils avaient un idéal. Ils ont choisi ce métier pour aider, accompagner, guérir aussi. Heureusement, il reste des services, des lieux de soins où tout se passe bien mais dans la plupart, c’est la bérézina sinon pourquoi tant de grèves, de SOS, de suicides chez les soignants et sur leurs lieux de travail, ça a du sens, non ? Ils ont honte, se sentent « complices » du système puisqu’incapables de s’y opposer. Ils subissent ou s’ils tentent de suggérer, de vouloir s’opposer, ils ne sont que trop rarement entendus, pourtant c’est bien eux qui sont en contact avec les personnes malades, les résidents, qui connaissent les besoins et ont des idées pour améliorer la situation. Mais voilà, plus personne ne prend le temps de les écouter.
Tout soin doit devenir rentable, le premier objectif n’est plus de soigner un être humain malade, accidenté, vieillissant mais d’être une source de profit pour l’hôpital, en Ehpad, en maison de retraite, partout. Même le parking devient payant !

Il existe pourtant des solutions, soyons optimistes.

Il faudrait faire évoluer les mentalités avec un management par la valorisation, l’encouragement. La gestion des centres de soins doit être faite par des gens dont c’est le métier afin d’éviter tous ces gaspillages, ces erreurs d’aiguillage. Donner des moyens aux soignants pour bien faire leur travail, les écouter, entendre ce qu’ils proposent et les considérer. Cette considération ne coûte rien mais réchauffe le cœur, augmente l’estime de soi et rend meilleur. Il y a beaucoup de bonnes volontés mais le système les a écrasés. Elles ne demandent qu’à rénover, améliorer et ce n’est pas qu’une question d’argent.
Et il y a urgence parce que si les soignants souffrent autant de ne pouvoir travailler comme ils le souhaitent c’est aussi parce qu’au-delà de ce que le système de soins actuel leur fait vivre, ils ont le souci des répercussions que tout cela a sur les personnes malades, sur les résidents et leurs proches. Chacun le sait sans vouloir le voir. Tout le monde connaît un proche hospitalisé, en maison de repos, en maison de retraite qui ne reçoit pas les soins que l’on aimerait qu’il reçoive, dont on sent que le personnel court et n’a pas assez de temps pour lui, pour elle. Ce que cela fait vivre aux soignés est aussi complexe. Un mélange de colère, de soumission, d’abandon, de tristesse, d’humiliation, de désespoir, de compassion pour ces soignants et surtout, la déshumanisation progressive des moments de soins de plus en plus écourtés.

Biographie

Valérie Sugg, psychologue dans un service de Cancérologie hospitalier, a été à l’écoute depuis 20 ans des personnes malades, de leurs proches mais, ces dernières années, c’est aussi les soignants auxquels elle a prêté son oreille et son temps. Elle le raconte dans son nouveau livre dans « L’hôpital : sans tabou ni trompette » aux éditions Kawa. Et c’est édifiant !
Auteure aussi de « Cancer : sans tabou ni trompette – Une psy à l’écoute des malades, de leurs familles et des soignants »
Prix, 23,95 euros

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